Les opposants au partenariat public-privé estiment le surcoût du plan municipal à 313 millions
d’euros.
LE MONDE | 01.10.2018 à 10h12 | Par Gilles Rof (Marseille, correspondance), voir le lien : https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/10/01/vif-debat-sur-le-cout-de-la-renovation-des-ecoles-a-marseille_5362648_3224.html

Solution incontournable dans une situation d’urgence ou gabegie qui plombera le budget de la ville de Marseille, déjà endettée à hauteur de 2 milliards d’euros, pour les vingt-cinq prochaines années ?

Le choix par la municipalité de Jean-Claude Gaudin (LR) de confier la reconstruction de 34 de ses 444 écoles primaires en procédure de partenariat public-privé (PPP), pour un coût de plus d’un milliard d’euros, serait « une aberration », selon une opposition qui ne cesse d’enfler et instille même le doute dans la majorité municipale.

Professionnels du bâtiment, associations de parents d’élèves, syndicats d’enseignants et de fonctionnaires, groupes de contribuables s’activent depuis un an dans un collectif inédit. Marseille contre les PPP – c’est son nom – a dévoilé le 24 septembre un contre-projet très détaillé, qui estime le surcoût du Plan école d’avenir à 313 millions d’euros, soit près de 30 % de l’investissement prévu. Un document dont les élus socialistes et communistes se saisissent pour demander lors du prochain conseil municipal, prévu le 8 octobre, la « suspension d’un projet mortifère pour les finances de la commune, à l’heure où toutes les collectivités abandonnent les PPP ».

Piqué au vif en février 2016 par une enquête de Libération (titrée « La Honte de la République »)
(https://www.liberation.fr/france/2016/02/01/marseille-ecole-primaire-gestion-secondaire_1430436) dénonçant  l’état des établissements scolaires de la ville qu’il dirige depuis quatre mandats, Jean-Claude Gaudin a réagi à la polémique nationale en lançant ce qu’il qualifie de « véritable plan Marshall ». Reconstruction de vingt-huit écoles à structure métallique dites « Pailleron », création de six écoles neuves avant 2025.

Un Plan école d’avenir sans précédent, qui nécessite, selon les équipes municipales, le recours à une procédure de partenariat public-privé, « moins coûteuse et plus rapide » qu’une simple maîtrise d’ouvrage publique (MOP) que la collectivité assure « ne pas avoir les moyens d’assumer ». La majorité a validé le dispositif le 18 octobre 2017, mais, depuis, le choix fait polémique dans une ville où la rénovation en PPP du Stade-Vélodrome pèse déjà, selon la chambre régionale des comptes, pour près de 11 millions d’euros par an sur les finances municipales.

Menaces juridiques

L’ordre national et le syndicat départemental des architectes, la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), le Syndicat national des entreprises du second œuvre et celui des professionnels de l’ingénierie et du conseil estiment également le plan « désastreux pour l’économie et les emplois locaux ». « Une tornade pour les artisans locaux, écartés d’un appel d’offres auquel seuls les grands groupes du BTP sont capables de répondre financièrement », dénonce Patricia Blanchet-Bhang, la présidente de la Capeb 13.

Trois recours contre la délibération municipale ont été déposés depuis décembre 2017 devant le tribunal administratif de Marseille, par le conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), son homologue régional et un groupe de contribuables mené par l’avocat Christian Bruschi. Le 20 septembre, le CNOA a déposé un mémoire complémentaire s’appuyant sur une contre-expertise financière confiée à un cabinet indépendant. Une étude qui pointe la « surévaluation des coûts de la MOP » et l’absence de prise en compte dans le plan « des dispositions de la nouvelle loi de programmation sur les finances locales ». « Ce qui a privé les élus d’une information objective avant
leur vote », souligne le conseil national.

Les menaces juridiques n’empêchent pas la municipalité d’avancer. La procédure des équipes candidates au PPP dans le cadre d’un « accord-cadre multiattributaire » a été bouclée le 18 juin. La ville de Marseille présélectionne actuellement les quatre groupements invités à un « dialogue compétitif » pour l’attribution de lots d’un minimum de cinq écoles. Les accords définitifs seront signés à l’automne 2019 pour un début des travaux au printemps 2020.
Face à ce projet qui s’accélère, le collectif Marseille contre les PPP croit à « la réactivité de l’opinion publique ». Ses spécialistes ont décortiqué l’accord-cadre élaboré par la municipalité et assurent que, pour les mêmes travaux en maîtrise d’ouvrage public, la facture plafonnerait à 723 millions d’euros. « Ce travail nous a aussi permis de pointer plusieurs anomalies dans le dossier présenté aux élus », relève Pierre-Marie Ganozzi, responsable départemental de la FSU.

Le collectif alerte sur l’absence en amont d’un diagnostic technique et architectural global des 444 établissements marseillais. « Le conseil municipal ne s’est prononcé que sur la base d’un audit financier », déplore Maxime Repaux, conseiller au syndicat départemental des architectes, qui souligne que, dans la liste établie par la municipalité, « les établissements ne sont pas forcément ceux qui ont besoin de travaux en urgence ». Pour exemple, le rapport cite les cas des écoles Azoulay (8e arrondissement), Bouge (13e) et Vayssière (14e), toutes de type Pailleron et promises à la démolition : « Ces écoles répondent parfaitement aux besoins de leurs utilisateurs, ne comportent pas de risques particuliers liés à la sécurité incendie et présentent des aménagements extérieurs en parfait état, avec des travaux à neuf datant de moins de trois ans. »

« Vague absolu »

Le contre-projet soulève également le « vague absolu » qui entoure l’exploitation potentielle des 34 hectares sur lesquels se dressent les écoles ciblées. « 20 % à 30 % d’entre elles ont un foncier fortement valorisable. Or, on ne sait rien des projets immobiliers ou commerciaux que pourraient réaliser les entreprises attributaires du PPP sur ces espaces. Tout est renvoyé à la phase de dialogue compétitif », s’inquiète l’avocat Christian Bruschi. Le maire de Marseille a déjà prévenu qu’il ne « reculerait pas » et refuse de commenter les conclusions du contre-projet sans « étude approfondie ». Mais le dossier attise l’intérêt politique alors que se profilent les municipales de 2020. Alors que La France insoumise a confirmé son opposition et que la sénatrice PS Samia Ghali, pour qui le PPP est « pervers et coûteux », exige un conseil municipal extraordinaire, les parlementaires LRM marseillais ont auditionné les membres du collectif. Plus étonnant, le sénateur LR Bruno Gilles reconnaît qu’il voudrait « rouvrir le débat ». Candidat déclaré à la succession de M. Gaudin, ce pilier de la majorité municipale s’inquiète de voir le « PPP des écoles » paralyser financièrement la prochaine mandature.