Nous vous livrons le contenu du recours déposé par les citoyens Gérard PERRIER, Alain BEITONE, Christian BRUSCHI.
Du fait de l’aspect procédural, la lecture est un peu fastidieuse mais par transparence, nous vous le livrons tel quel. Les points seront détaillés dans les argumentaires à venir.
MEMOIRE COMPLEMENTAIRE DEVANT LE TRIBUNAL
ADMINISTRATIF DE MARSEILLE
A Mme, M. le Président et Mesdames et Messieurs les Conseillers
composant le Tribunal Administratif de Marseille
Monsieur Gérard PERRIER, Monsieur Alain BEITONE, Monsieur Christian BRUSCHI,
Tous contribuables marseillais.
ONT L’HONNEUR DE VOUS EXPOSER :
Qu’ils contestent la légalité de la délibération du Conseil Municipal de la Ville de Marseille en date du 17/10/17 approuvant le principe du recours à un accord-cadre de marchés de partenariat et à des marchés de partenariat subséquents dans le cadre du Plan Ecoles.
Le Conseil Municipal de la Ville de Marseille a dû se prononcer sur les conditions dans lesquelles 32 groupes scolaires et écoles présentant une architecture spécifique des années 1960 en structures métalliques, appelées écoles GEEP (Groupement d’Etudes et d’Entreprises Parisiennes) devaient être remplacés par 28 nouveaux établissements. Il convient d’ajouter la construction de 6 nouveaux établissements et, pour chaque établissement, la réalisation d’un gymnase et d’un plateau d’évolution ; ce projet ne se limitant pas à la simple mise en place de nouveaux établissements, mais s’étendant à la réalisation de prestations d’entretien, maintenance et gros entretien renouvellement des établissements.
Le Conseil Municipal a écarté pour ce projet la Maîtrise d’Ouvrage Public (MOP) et s’est prononcé favorablement sur le principe d’un recours à un marché de partenariat.
La législation spécifique aux marchés de partenariat se trouve dans l’Ordonnance N°2515-889 du 23/07/15 relative aux marchés publics. Subséquemment à cette Ordonnance, un décret n°2016-360 relatif aux marchés publics a été pris le 25/03/16.
Il convient d’abord de souligner que cette affaire est suffisamment importante pour justifier un traitement rapide.
En effet, la délibération attaquée est susceptible de produire très vite des effets sur les finances de la ville. Elle prévoit la commande d’études auprès des sociétés intéressées. Or, ces études seront rémunérées. On peut estimer leur coût à plusieurs centaines de milliers d’euros. Or, dans l’hypothèse, probable, où la délibération serait reconnue comme étant illégale du fait de l’impossibilité de procéder par contrat de partenariat, ces sommes auront été dépensées en pure perte pour la ville.
C’est pourquoi les signataires sollicitent la mise en œuvre d’un calendrier d’instruction comme le prévoit l’article R 611-11-1 du code de justice administrative et la possibilité d’une clôture immédiate de l’instruction dans un délai rapproché. Il y a fort à parier, en l’absence, que la ville retarde au maximum sa réponse, afin de laisser trainer les choses, de manière à rendre l’engagement de la ville difficile à remettre en cause, y compris en matière contentieuse. A cet égard, on connait la réticence du juge administratif à remettre en cause les situations contractuelles acquises.
La demande est recevable.
Depuis l’arrêt du 4 avril 2014, département de Tarn-et-Garonne, les actes détachables des contrats ne peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, seul de contrat pouvant être attaqué dans le cadre d’un recours de plein contentieux. Mais pour autant cette règle n’est pas applicable à la requête présente.
En effet, la jurisprudence du Conseil d’Etat, Fare sud du 4 juillet 2012, n° 350572 est toujours applicable. Cet arrêt juge que la délibération par laquelle une collectivité territoriale se prononce sur le principe du recours à une délégation de service public pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pour se faire, le Conseil d’Etat se fonde sur les dispositions de l’article L. 1414-4 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient l’intervention obligatoire d’une telle délibération.
Selon le rapporteur public Pellissier, qui concluait sur l’affaire lue le 24 mai 2017, n° 407264, « cette délibération est distincte de la phase contractuelle de sa réalisation ». Et il ajoutait, « Nous pensons comme Nicolas Boulouis dans ses conclusions sur cette dernière décision que « cette délibération de principe n’est pas un acte qui, sur un plan contentieux, se rattacherait à la procédure contractuelle et qui comme tel aurait été détaché de cette procédure pour pouvoir faire l’objet d’un REP. A nos yeux, c’est un acte autonome, détaché du processus contractuel, qui conditionne certes le lancement de cette procédure mais qui pose des questions propres ». B. Dacosta précisait également, dans ses conclusions sur votre décision d’Assemblée du 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne (n° 358994), qu’une « telle délibération ne constitue donc pas un acte préparatoire dont le contentieux pourrait basculer sur celui du contrat ». Ainsi, on le voit, la jurisprudence de 2012 n’a pas été rendue caduque par l’arrêt département de Tarn-et-Garonne.
Et cet arrêt de 2017, rendu sur conclusions conformes indique que :
« Dans la mesure où la délibération prévue à l’article L. 1411-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) constitue un préalable obligatoire au lancement d’une procédure d’attribution d’un contrat de délégation de service public par une collectivité territoriale, cette délibération, qui a pour objet d’entériner le principe d’une mise en gestion déléguée d’un service public et d’autoriser l’autorité exécutive compétente à lancer la consultation, intervient antérieurement à l’engagement de la consultation des opérateurs économiques. Par conséquent, cette délibération ne peut être regardée comme la première étape de l’engagement d’une consultation en vue de l’attribution d’une concession, au sens des dispositions de l’article 78 de l’ordonnance du 29 janvier 2016. »
Dès lors, le recours pour excès de pouvoir est recevable, la jurisprudence Tarn-et-Garonne n’y faisant pas obstacle.
Ce raisonnement est parfaitement transposable, en ce qui concerne les contrats de partenariat.
En effet, comme en matière de délégation de service public, l’ordonnance du 23 juillet 2015, 2015-899 prévoit dans son article 77 que : « II. – Pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, l’évaluation du mode de réalisation du projet, l’étude de soutenabilité budgétaire et les avis sur celles-ci sont présentés à l’assemblée délibérante ou à l’organe délibérant, qui se prononce sur le principe du recours à un marché de partenariat. ». Ici également, la délibération constitue un préalable obligatoire au lancement de la procédure et ne peut donc pas être regardée comme la première étape de l’engagement d’une consultation en vue de l’attribution d’un contrat de partenariat.
La délibération attaquée a été prise sur ce fondement. C’est la délibération prévue par l’article 77 de l’ordonnance.
Au total donc, le recours pour excès de pouvoir contre cette délibération est recevable. En outre, comme le précise la décision du CE n°363007 du 30 juillet 2014 commune de Biarritz, qui confirme cette recevabilité, le moyen tiré de ce que les conditions de recours au contrat de partenariat ne sont pas réunies peut être utilement soulevé à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte par lequel la signature d’un tel contrat est autorisée, le respect des conditions posées par la loi s’appréciant au vu de l’évaluation préalable qui a donné lieu à la délibération prévue par le dernier alinéa de l’article L. 1414-2 du même code alors applicable, et maintenant prévue par le II de l’article 77 de l’ordonnance précitée.
La qualité de contribuable de la commune donne intérêt pour agir.
La mise en œuvre du contrat prévu par la délibération aura forcément des conséquences négatives sur les finances de la ville. Il en est ainsi parce que le bilan, au regard des dispositions de l’ordonnance de 2015 est négatif. Mais indépendamment de ce bilan, il aura un effet sur les dépenses de la ville, et donc sur les impôts que seront amenés à acquitter le signataire.
Cette délibération du Conseil Municipal se caractérise par l’importance du marché public, les décaissements bruts de la ville s’établissant à un 1,042 milliard d’euros. Les écoles maternelles et élémentaires méritent une attention particulière car c’est la formation des nouvelles générations qui se trouve en jeu.
- Sur le plan formel:
Aux termes de l’article L2121-12 du CGCT : « Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal.
Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur. ».
Les avis obligatoires de la Commission consultative des services publics locaux et du Comité technique n’ont été rendus publics que lors de la séance du Conseil Municipal et n’avaient pas été versés préalablement au dossier.
Par ailleurs, il semble aberrant que le Ministère de l’Education Nationale et le Ministère de la ville de la jeunesse et des sports, qui avaient été consultés sur la nécessité de la modernisation des établissements GEEP, n’aient pas été consultés sur le marché de partenariat concernant cette modernisation et la construction de nouveaux établissements, le ministère de l’Education Nationale, notamment, étant pour le moins concerné.
- Sur le fond:
Les marchés de partenariat sont régis par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, complétée par le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Les articles L1414-1 et suivants du CGCT ont été abrogés, et leur contenu n’est pas intégralement repris dans les deux textes susmentionnés.
- Délégation illégale de compétence
Tout d’abord, le conseil municipal dans l’article 2 de la délibération autorise le maire ou son représentant à signer tous actes et documents inhérents à l’exécution de la présente délibération. Il se dessaisit d’une compétence que lui attribue l’article 78-II de l’ordonnance du 23 juillet 2015. Cet article énonce que « l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou l’organe délibérant de l’établissement public local autorise la signature du marché de partenariat par l’organisme exécutif ». Le conseil municipal délègue donc au maire la signature de tous les actes inhérents à l’exécution de la délibération, sans spécifier que la signature du marché doit être autorisée par le conseil municipal et n’est pas de la seule compétence du maire. Cet article de la délibération est contraire à la loi.
- Absence d’identification d’une équipe de maitrise d’œuvre –
L’Ordonnance du 23/07/15 précise dans son article 67 que le marché de partenariat peut avoir pour objet la construction, la transformation, la rénovation, le démantèlement ou la destruction d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public ou à l’exercice d’une mission d’intérêt général ; il peut avoir aussi l’objet de tout ou partie de leur financement.
Il est ajouté, toujours dans l’article 67, que le titulaire du marché de partenariat assure la maîtrise d’ouvrage de l’opération à réaliser et que cette mission globale peut avoir pour objet tout ou partie de la conception des ouvrages, équipements ou biens immatériels, l’aménagement, l’entretien, la maintenance, la gestion ou l’exploitation d’ouvrages, d’équipements ou de biens immatériels ou une combinaison de ces éléments.
La Ville de Marseille a décidé de confier à un partenaire privé, ou à des partenaires privés, non seulement la réalisation du projet mais aussi sa conception dont l’autorité publique se trouve, de ce fait, dessaisie.
–L’article 69 de L’Ordonnance du 23/07/15 précise que « lorsque l’acheteur confie tout ou partie de la conception des ouvrages au titulaire, les conditions d’exécution du marché doivent comprendre l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre chargée de la conception des ouvrages et du suivi de leur réalisation ».
Si la délibération ne porte pas sur un marché de partenariat mais seulement sur le principe du recours à un marché de partenariat, il n’en reste pas moins qu’elle aurait dû rappeler cette obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre et qu’elle aurait dû aussi préciser les caractères que devrait revêtir cette équipe de maîtrise d’œuvre, eu égard à la tâche à réaliser. Il est en effet difficilement imaginable que la conception des écoles ait lieu sans critères précis, critères précis qui doivent être décidés dans leurs grandes lignes dès l’approbation du principe du recours à un marché de partenariat.
- Absence de prise en compte des spécificités du service public de l’école
Le service public de l’école a ses propres spécificités. Les établissements doivent comprendre à la fois des classes, des cantines, des lieux de détente, tout cela dans le souci d’assurer le meilleur équilibre aux enfants accueillis.
L’article 75 de l’Ordonnance du 23/07/15 insiste sur « les caractéristiques du projet engagé, des exigences du service public ou de la mission d’intérêt général dont l’acheteur est chargé ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que tant la délibération du Conseil Municipal que le rapport sur lequel elle s’appuie sont particulièrement discrets sur ce sujet.
- Absence de caractère probant du bilan financier comparatif
Le Conseil Municipal, après avoir écarté la réalisation du projet sous la forme d’une délégation de service public d’une concession de travaux d’un montage en boucle d’un marché de conception réalisation ou d’un marché global de performance, ainsi qu’un montage institutionnalisé (type SEMOP) pour les raisons que ces solutions ne seraient pas adaptées au projet et présenteraient des inconvénients, ne retient comme montage envisageable que la Maîtrise d’ouvrage Public (MOP) et le marché de partenariat.
La ville a fait une étude comparative des avantages et des inconvénients du marché de la Maîtrise d’Ouvrage Public et du marché de partenariat.
Dans son article 75, l’Ordonnance du 23/07/15 énonce qu’il faut que le recours à un marché de partenariat présente un bilan plus favorable, notamment sur le plan financier, que celui des autres modes de réalisation du projet et que le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage. Ces exigences sont reprises au I de l’article L1414-2 du CGCT et au 3° du II du même article. Il est bien précisé que le critère du paiement différé ne saurait constituer à lui seul un avantage.
L’ordonnance tient compte des observations de la Commission sénatoriale qui, en 2014, a produit un rapport particulièrement critique sur le partenariat public/privé (marché de partenariat) ainsi que sur les observations dubitatives de la Cour des Comptes à ce sujet.
Remarque liminaire :
Dans cette étude comparative entre la MOP et le marché de partenariat, il convient, avant l’examen des aspects financiers, de se pencher sur l’avantage que représenterait pour la ville d’avoir un interlocuteur unique, responsable de l’atteinte des objectifs de performance qualitatifs et quantitatifs imposés. C’est la mission d’une collectivité publique d’intervenir auprès de plusieurs interlocuteurs pour obtenir les coûts les plus ajustés et pour s’assurer que les objectifs seront bien atteints. Sur un projet de cette dimension, concernant un sujet aussi sensible que l’école, il est à craindre qu’un interlocuteur unique impose ses choix, comme il en aura d’ailleurs la possibilité.
D’une certaine manière c’est ce que recherche la ville puisque dans les avantages reconnus au contrat de partenariat de manière systématique figure le transfert des risques de maitrise d’ouvrage au titulaire.
Quant à l’approche en coût global
Le marché de partenariat serait plus favorable parce qu’il assurerait sur une longue durée l’entretien, et le maintien en bon état des ouvrages alors qu’en maîtrise d’ouvrage public l’entretien et la maintenance pourraient constituer une variable d’ajustement au détriment de la pérennité des ouvrages, il est consternant de constater que l’on puisse invoquer ce type d’argument permettant à la ville de se défausser de ses responsabilités en s’appuyant sur ce que seraient ses faiblesses futures.
Sur les aspects financiers, tous les postes montrent que la Maîtrise d’Ouvrage Public est beaucoup plus intéressante que le marché de partenariat, le montant total des travaux est identique en maitrise d’ouvrage publique qu’en marché partenariat puisqu’il s’élève à 378.813.204 €.
Pour ce qui est des coûts d’exploitation et de maintenance GER (Gros Entretien Renouvellement), la MOP se révèle nettement plus avantageuse puisque le montant annuel est de 5.217.474 € contre 5.263.587 € pour le marché de partenariat, et ce parce qu’il n’y a pas, dans le cadre de la Maîtrise d’Ouvrage Public, de contrôle périodique.
Il en est de même des frais financiers qui sont moins importants pour la MOP que pour le marché de partenariat.
Il faut rappeler que le projet aura un coût de financement public s’élevant à 70% de l’ensemble, co-financement provenant d’un prêt de la Banque Européenne d’Investissements pour 50% avec un taux d’intérêt de 2%, et d’autres autres institutions bancaires pour 20% avec un taux d’intérêt de 2,5%. Le financement des partenaires privés s’élève à 30% mais avec un taux d’intérêt à 4%, mais la ville se portera garante de la dette pour 20%. En définitive, il ne restera véritablement à la charge des partenaires privés que 10% du financement.
En valeur actuelle nette, il est clair que selon l’étude menée par la ville, la Maîtrise d’Ouvrage Public est nettement moins chère puisque la valeur actuelle nette s’élève à 620.160.910 € tandis que le marché de partenariat s’élève à 675.442.476 €. L’écart est de 55.280.567 € et donc de 8,9% supérieur, ce qui est loin d’être négligeable.
FIN INFRA, qui a donné un avis favorable, émet cependant des réserves et s’étonne que la ville retienne un montant d’honoraires inférieur de 30% pour le marché partenariat par rapport au MOP, ce qu’elle ne justifie absolument pas.
De même, cet organisme souligne la sous-estimation des coûts de maîtrise d’ouvrages à 3% alors que d’habitude ces coûts s’élèvent à 5 à 8% et le fait que n’ont pas été pris en compte les aléas dans le chiffrage du coût d’investissement du projet.
Mais tout changerait avec la prise en compte du risque, risque lié à la phase de conception de la réalisation des travaux, risque lié aux prestations GER, risque lié à l’entretien. Les risques sont sous-évalués en ce qui concerne le marché de partenariat alors qu’ils semblent surévalués pour la Maîtrise d’Ouvrage Public. Sans entrer dans les détails techniques, le fait que les risques de la ville peuvent être couverts par une assurance n’est pas pris en compte, comme n’est pas pris en compte le fait que les entreprises privées peuvent se révéler défaillantes, faire l’objet d’une liquidation judiciaire en sachant que la ville, en matière de co-financement, fournit une garantie bancaire des deux-tiers du financement privé.
Avec la valeur à risque (VaR) telle que la ville l’a calculée de façon plus que contestable, le marché de partenariat se révèrerait financièrement plus avantageux puisqu’il s’élèverait à 692.010.097 € contre 733.603.984 pour la MOP. Une différence de 5,67% en faveur du marché de partenariat.
La ville ajoute une valorisation due aux bénéfices socio-économiques. Ce que la ville entend par bénéfices socio-économiques, c’est que les délais seront plus brefs pour le marché de partenariat que pour la MOP. En termes de calculs, qui ne s’illustrent pas par une grande rigueur, l’avantage serait de 8.046.821 € par trimestre, ce qui donnerait 670.842.980 € pour le marché de partenariat et 733.889.696 € pour la MOP, donc une différence de 8,6% en faveur du marché de partenariat. Comme on le voit, alors que la valeur d’actualisation nette donnait une différence de 8,91% en faveur de la MOP, l’introduction de la Valeur à Risque, dans des termes fort peu rigoureux, donne 8,6% en faveur du marché de partenariat.
On remarquera qu’en matière de délais, il y aurait une différence au niveau de la conception, le marché de partenariat serait plus rapide d’un mois, mais cela en définitive n’est pas du tout justifié, on ne voit pas pour quelles raisons en matière de conception la MOP serait moins performante en termes de délais que le marché de partenariat. De plus, ce mois provoquerait, à cause des problèmes de rentrée scolaire, une année de différence qui se répercuterait jusqu’à l’achèvement, en 2025 pour le marché de partenariat et 2026 pour la MOP.
La ville ne fait pas du tout référence aux pénalités qui peuvent être infligées aux adjudicataires en MOP et qui sont suffisamment incitatives pour que les délais soient respectés, certainement plus que ne le peut être un partenariat privé qui ne dispose pas de ce moyen de pression.
Il est clair que la MOP est plus avantageuse et que le contribuable Marseillais, par hypothèse, y trouvera son compte.
Le marché de partenariat peut faire l’objet, soit d’un appel d’offres, soit d’une procédure concurrentielle avec négociation, soit d’un dialogue compétitif, ce que prévoit l’article 25 du décret N°2016-360 du 25/03/16.
La procédure d’appel d’offres présente des garanties, non seulement elle permet d’obtenir le meilleur coût mais, de plus, elle est suffisamment transparente pour éviter des comportements douteux en matière de marché public. La ville choisit le dialogue compétitif en le comparant à la procédure concurrentielle avec négociation, mais elle ne le compare pas à l’appel d’offres qui est juste mentionné pro forma dans le rapport.
Si d’après l’article 25 du décret la ville a la possibilité, en effet, de choisir le dialogue compétitif une fois qu’elle a adopté le principe du marché de partenariat, il n’en reste pas moins que ce choix aurait dû être justifié par une étude comparative avec l’appel d’offres, ce qui n’est nullement le cas.
- Légalité au regard des critères de capacité à conduire le projet et à sa complexité
L’ancien article L1414-2 du CGCT, désormais abrogé, prévoyait dans son II que « Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l’évaluation, il s’avère :
1° Que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ; ».
On retrouve ce critère en filigrane dans le I de l’article 75 de l’ordonnance qui rappelle en termes de « caractéristiques du projet envisagé », et de manière explicite dans l’article 152 du décret susmentionné qui précise que : « Pour établir le bilan prévu à l’article 75 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée, l’acheteur tient compte de ses capacités à conduire le projet, des caractéristiques, du coût et de la complexité de celui-ci, des objectifs poursuivis ainsi que, le cas échéant, des exigences du service public ou de la mission d’intérêt général dont il est chargé. ». A cet égard, si la directive 2014-24 UE qui a abrogé la directive 2004-18 UE est moins explicite que cette dernière sur la notion de complexité, elle prévoit cependant dans son article 26 que « les pouvoirs adjudicateurs peuvent appliquer une procédure concurrentielle avec négociation ou à un dialogue compétitif dans les situations suivantes : a) pour les travaux, fournitures ou services remplissant un ou plusieurs des critères suivants: 3 le marché ne peut être attribué sans négociations préalables du fait de circonstances particulières liées à sa nature, à sa complexité ou au montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent; ».
Le libellé du décret juxtapose des conditions qui dans l’article L1414-2 du CGCT étaient étroitement intriquées. Cependant, on peut penser que toute complexité tient à la fois à la nature même du projet et aux capacités de l’acheteur à conduire ledit projet et que donc la jurisprudence existante n’est pas obsolète.
Dans ses conclusions sous la décision du CE n°363007 du 30 juillet 2014 commune de Biarritz, le rapporteur public apporte des précisions très intéressantes sur la notion de complexité. Il précise tout d’abord que le juge exerce un contrôle normal de qualification des faits. Il souligne ensuite que la définition de la complexité du projet se fait par application du critère tenant à ce que la personne publique soit dans l’impossibilité objective de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins, ce qui s’entend de sa capacité, compte tenu des personnels et des données dont elle dispose, à définir avec précision le contenu des prestations nécessaires à la réalisation du projet pour lequel elle entend conclure le contrat de partenariat. Cette analyse demeure pertinente.
En l’espèce, il convient de souligner que la notion de complexité au regard des moyens dont elle dispose est à peine évoquée par la ville.
Certes, elle évoque les éléments de complexité du dossier : la multiplicité des sites, le calendrier, la réalisation de chantiers sur des sites en fonctionnement, le phasage, l’amiante, mais d’une part sans établir quelles conséquences réelles induisent ces éléments et d’autre part sans démontrer son impossibilité objective à définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins. Bien plus, la description des services en charge du projet démontre le contraire : la commune elle-même nous dit que le Plan Ecole est porté par de nombreuses délégations ou directions :
La DGUAH (Délégation Générale de l’Urbanisme, l’Aménagement et de l’Habitat)
La DGAVE (Délégation Générale de l’Architecture est de la Valorisation des
Equipements) : elle est composée de plusieurs directions, dont :
o La direction DGECP (Direction des Etudes et Grands Projets de Construction)
o Deux directions territoriales (Nord et Sud)
La DGAAJ (Direction Générale Adjointe de l’Action Juridique), avec plusieurs directions :
o La Direction des Marchés et Procédures d’Achats Publics
o La Direction des Assurances
o La Direction du Contentieux
La DEPPGE (Direction de l’Evaluation des Politiques Publiques et de la Gestion
Externalisée)
La DIRECTION DES FINANCES
La DGES (Délégation Générale de l’Education et de la Solidarité)
Quant à la complexité relative à la nature du projet, nous avons une succession de tranches de projets individuels de même nature, d’ampleur très relative, de caractère novateur limité, des écoles, au nombre de 34, et qui ne présentent aucune difficulté technique particulière (le désamiantage est maintenant une technique connue), succession de tranches de projets donc quasiment identiques, qu’il faut simplement phaser dans le temps.
Ce n’est pas une complexité de la nature de celle définie par la jurisprudence, qui demeure pertinente même si élaborée sous l’empire des dispositions abrogées du CGCT. La complexité n’a été admise que pour des projets uniques de grande dimension avec des caractéristiques techniques très particulières.
Ainsi en ce qui concerne le palais de justice de Paris, la cour administrative d’appel de Paris[1] a souligné : les dimensions exceptionnelles de l’ouvrage à réaliser, qui aura une surface de plus de 60 000 m² et abritera 90 salles d’audience, le nombre et la nature des juridictions qui y seront hébergées, impliquant notamment la présence du pôle anti-terroriste et la tenue de procès à forte résonance médiatique, et l’importante fréquentation du bâtiment, évaluée à près de 9 000 personnes par jour, incluant à la fois des magistrats, personnels de greffe, auxiliaires de justice et fonctionnaires de police, mais aussi de nombreux détenus, des journalistes et un large public, les contraintes techniques et fonctionnelles induites par le choix, retenu par les pouvoirs publics, de la construction à Paris, dans une zone en cours d’aménagement sur d’anciennes emprises ferroviaires non viabilisées, d’un immeuble de très grande hauteur, dont il a notamment été décidé, de surcroît, qu’il devrait être exemplaire en matière de performance énergétique et de développement durable, et en a déduit que, du fait de ces différentes caractéristiques, la réalisation de ce projet posait des difficultés telles que l’EPPJP, qui avait établi qu’il était dans l’impossibilité de définir seul et à l’avance, y compris en recourant aux moyens mis à sa disposition par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), qui n’a jamais conduit une opération d’une telle ampleur, les moyens techniques permettant la réalisation du projet envisagé, avait pu estimer qu’il était nécessaire de recourir à un contrat global pour assurer la parfaite cohérence des solutions architecturales et techniques proposées par la maîtrise d’œuvre, les entreprises de construction et les entreprises d’exploitation et de maintenance. On peut citer également l’arrêt de la cour administrative de Bordeaux n°13BX 00563 du 17 juin 2014 relatif au projet de grand stade.
Il s’agit de projets dont la complexité s’articule dans une même opération de conception et de réalisation impliquant une unité conceptuelle et la synchronisation d’interventions techniques sur un même lieu et une réalisation unique : palais de justice, grand stade, qui par là-même excèdent la capacité de la personne publique à définir seule et à l’avance les moyens techniques permettant la réalisation du projet envisagé, ce qui n’est absolument pas le cas en l’espèce.
- Appréciation globale
L’article 152 du décret précise, à propos du bilan : « Pour démontrer que ce bilan est plus favorable que celui des autres modes de réalisation de ce projet envisageables, il procède à une appréciation globale des avantages et des inconvénients du recours à un marché de partenariat, compte tenu notamment :
1° De l’étendue du transfert de la maîtrise d’ouvrage du projet au titulaire de ce marché ;
2° Du périmètre des missions susceptibles d’être confiées au titulaire ;
3° Des modalités de partage de risques entre l’acheteur et le titulaire ;
4° Du coût global du projet compte tenu notamment de la structure de financement envisagée ».
Pour en revenir au projet de contrat de partenariat qu’envisage la ville de Marseille, il apparait que la ville a tout à fait la capacité, compte tenu de l’absence de complexité réelle du projet, d’en garder la maitrise d’ouvrage. Et en l’espèce, l’étendue du transfert (total) qu’envisage la commune sur ce point, comme sur celui du périmètre des missions, est en quelque sorte contradictoire avec les exigences du service public de l’école dont la commune doit garantir qu’elles sont respectées. Compte tenu au surplus de la fragilité de l’avantage financier tel qu’analysé ci-dessus, la commune de Marseille n’établit pas que le bilan qu’elle fournit puisse justifier le recours à un contrat de partenariat.
Les requérants demandent en conséquence que pour les motifs invoqués et pour d’autres qui pourraient y être ajoutés, le tribunal veuille bien annuler la délibération du Conseil Municipal de la ville de Marseille en date du 17/10/17.
ET FEREZ JUSTICE
FAIT A MARSEILLE, le 21 février 2018
Les exposants,
- M. BEITONE
- M. PERRIER
- M. BRUSCHI
[1] Arrêt n° 13PA02769, 13PA02766 et 13PA02770 du 3 avril 2014